Le syndrome de Montréal : la conophobie
Emmanuel Stip
Université de Montréal ; United Arab Emirates University
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Résumé
L’objectif de cet article de perspective est d’explorer la création d’un nouveau syndrome propre à la ville canadienne de Montréal : la conophobie. De façon plus académique, le but est de réfléchir au processus qui conduit à la création d’une nouvelle entité clinique et de questionner comment le nom d’une maladie est choisi. C’est ainsi que sont nés les syndromes qui portent désormais le nom d’une ville : le syndrome de Stockholm, le syndrome de Stendhal, le syndrome de la tour de Pise, le syndrome de La Havane, le syndrome de Paris, de Lima ou de Copenhague. La conophobie est un néologisme pour signifier la naissance d’un jeune syndrome en lien avec l’observation croissante d’un mal et d’une souffrance originale envahissant la métropole du Québec : l’angoisse par rapport à un objet clairement identifié qu’on appelle le Cône. De nouveaux cônes de signalisation sont en effet apparus sur les rues, par milliers parsemés dans tous les quartiers pour baliser au départ des travaux sur les voies publiques. Dans le contexte de cette invasion sont apparues les premières anomalies comportementales observables dans la population, les indices d’une souffrance et les sentiments d’impuissance des citoyens. La couverture médiatique en a bientôt fait état. Presque 30 % des cônes orange dans une zone donnée demeuraient sur les rues sans raison apparente, entraînant des entraves et une nuisance esthétique inutiles. Nous avons pu observer quelques vignettes de ce phénomène qu’on ne peut pas baptiser à ce stade de vignettes cliniques, mais qui, à bien des égards, partagent des liens avec les phobies. Des vidéos devenues virales sur les réseaux sociaux ont même montré des individus dans plusieurs endroits enragés face aux travaux routiers, débarquant de leur voiture, saisissant des cônes orange et le projetant sur le terrain à côté de la rue. À notre connaissance, il n’y a pas eu encore d’hospitalisation ou de passage à l’urgence en raison spécifiquement d’un cône. Cette nouvelle sémiologie ou phénoménologie peut conduire le clinicien à être attentif à un éventuel passage de comportement du normal au pathologique. Le curseur qui délimite cette frontière est à étudier. Le syndrome dit de Montréal permet de faire réfléchir au lien entre la santé mentale et l’identité d’une ville. Ce lien mérite d’être amélioré. Les aides et remèdes pour les individus déjà atteints de ce syndrome insidieux pourraient nécessiter des interventions individuelles par des professionnels de la santé ou des interventions plus communautaires, de préventions. La création d’un tel syndrome s’insère dans une approche biopsychosociale qui est familière à l’activité scientifique de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal (IUSMM).
Mots-clés : Montréal, syndrome de Montréal, syndrome de Stockholm, syndrome de Stendhal, syndrome de Roko, phobie, syndrome du métronome, santé mentale, travaux routiers
Abstract
The objective of this perspective article is to explore the creation of a new syndrome specific to the Canadian city of Montreal: Conophobia. In a more academic way, the aim is to think about the process which leads to the creation of a new clinical entity and to question how the name of a disease is chosen. In the literature, it is illustrated by syndromes with a name of a city: Stockholm syndrome, Stendhal syndrome, Pisa syndrome, Havana syndrome, Paris syndrome, Lima syndrome or Copenhagen syndrome. Conophobia is a neologism reflecting a potential syndrome linked to the growing observation of an original suffering invading the metropolis of Quebec: anxiety in relation to a clearly identified object that we calls the Cone. New traffic cones have in fact appeared on the streets, by the thousands dotted throughout the neighborhoods, to mark the start of work on public roads. In the context of this invasion, the first observable behavioral anomalies appeared in the population, signs of suffering, and feelings of helplessness among citizens. Media coverage appeared. Almost 30% of orange cones in a given area remained on the streets for no apparent reason, causing unnecessary obstruction and aesthetic nuisance. We were able to observe some vignettes of this phenomenon which cannot be called a clinical vignette at this stage but which in many respects shares links with phobias. Videos that went viral on the networks even showed individuals in several places enraged by the road works, getting out of their cars, grabbing orange cones and throwing them onto the ground next to the street. To our knowledge, there have yet been no hospitalizations or visits to the emergency unit specifically due to a cone. This new semiology or phenomenology can lead the clinician to be attentive to a possible shift in behavior from normal to pathological. The cursor which demarcates this border needs to be studied. The so-called Montreal syndrome allows us to think about the link between mental health and the identity of a city. This relation needs to be improved. Aid and therapies for individuals already suffering from this insidious syndrome could call for individual interventions by health professionals or more community-based prevention interventions. The creation of such a syndrome is part of a biopsychosocial approach which is familiar to the scientific activity of the University Institute of Mental Health of Montreal (IUSMM).
Keywords: Montreal, Montreal syndrome, Stockholm syndrome, Stendhal syndrome, Roko syndrome, phobia, metronome syndrome, mental health, road works
Auteur : Emmanuel Stip
Titre : Le syndrome de Montréal : la conophobie
Revue : Santé mentale au Québec, Volume 49, numéro 2, automne 2024, p. 61-71
URI : https://id.erudit.org/iderudit/1114404ar
DOI : https://doi.org/10.7202/1114404ar