La responsabilité civile du psychiatre au Canada lors du suicide d’un patient : une analyse fondée sur la jurisprudence
Gabriel Thibault
Université de Montréal
Sophie Désautels
Université de Montréal
Thomas Chamard-Bergeron
Université de Montréal
Vous pouvez télécharger l’article en cliquant sur le lien suivant :
La responsabilité civile du psychiatre
Résumé
Contexte Dans l’exercice de sa pratique, le psychiatre est couramment appelé à évaluer le risque suicidaire d’un patient et peut, par le fait même, engager sa responsabilité professionnelle et faire l’objet d’une poursuite civile en cas de décès de celui-ci. Malgré l’existence de lignes directrices et d’outils en matière d’évaluation et de gestion du risque suicidaire, la pratique du psychiatre est rarement standardisée. Peu d’études se sont intéressées à l’évaluation et la gestion de ce risque sous une perspective légale. Une connaissance de la jurisprudence pourrait soutenir le psychiatre dans l’élaboration de son plan de traitement, tant d’un point de vue médicolégal que pour améliorer les soins offerts.
Objectifs Cet article vise à étudier la responsabilité civile du psychiatre à la suite du suicide d’un patient en analysant la jurisprudence canadienne dans une perspective d’amélioration continue de la pratique en portant une attention particulière à l’évaluation et à la gestion du risque suicidaire.
Méthode Une revue systématique a été effectuée sur CanLII.org, une bibliothèque virtuelle d’information juridique canadienne permettant l’accès aux jugements rendus par des cours de première instance, des cours d’appel ainsi que ceux de la Cour suprême du Canada. La stratégie de recherche consistait à utiliser les mots clés « suicide », « psychiatrie », « faute » et « responsabilité » ainsi que leur traduction anglaise pour retenir les recours où un jugement fut rendu par la cour où au moins un psychiatre agissait à titre de défendeur ou codéfendeur à la suite du suicide d’un patient.
Résultats Neuf recours correspondaient à nos critères d’inclusion. Puisque des éléments étaient d’intérêt pour notre question de recherche, il nous a paru judicieux d’inclure également 3 recours où le patient n’est pas décédé de sa tentative suicidaire, mais en a conservé des séquelles importantes. L’analyse des jugements a permis d’identifier les fautes alléguées les plus souvent reprochées au psychiatre par le demandeur et de présenter la position habituelle des tribunaux, et les arguments qui les sous-tendent. Les fautes alléguées peuvent être regroupées en 3 catégories, soit une évaluation du risque suicidaire jugée fautive, une gestion du risque suicidaire par des mesures d’encadrement jugée fautive et une omission d’avoir utilisé des mesures légales de garde alors qu’elles auraient dû l’être. Dans près de l’entièreté des cas, les tribunaux canadiens rendent une décision en faveur du psychiatre, démontrant une sensibilité à la réalité des psychiatres dans plusieurs situations. Les recommandations qui découlent de notre analyse de la jurisprudence canadienne appuient les lignes directrices des guides de pratique de l’American Psychiatric Association et de l’Ontario Hospital Association en matière d’évaluation et de gestion du risque suicidaire, particulièrement au niveau du contenu de l’évaluation, des moments spécifiques de réévaluation et de la tenue de dossier.
Conclusion La connaissance de la jurisprudence canadienne en matière de responsabilité civile lors du suicide d’un patient représente un atout supplémentaire pour la pratique d’une psychiatrie responsable et de qualité.
Mots-clés :
- suicide,
- psychiatrie,
- responsabilité civile,
- jurisprudence,
- évaluation du risque suicidaire,
- gestion du risque suicidaire,
- norme de pratique
Abstract
Context In the exercise of his practice, the psychiatrist is commonly called upon to assess the suicidal risk of a patient and may, under the circumstances, engage his professional liability and become the subject of a civil suit in the event of the death of the patient. Despite the existence of guidelines and tools for the assessment and management of suicide risk, the practice often remains unstandardized. Few studies have focused on the assessment and management of this risk from a legal perspective. Some knowledge of case law could be useful to psychiatrists in making future decisions, both from a medico-legal point of view and to improve the care offered.
Objectives This article aims to study the civil liability of the psychiatrist following the suicide of a patient by analyzing Canadian case law from a perspective of continuous improvement of practice with particular attention to the assessment and management of suicide risk.
Method A systematic review of the judgments was carried out on CanLII.org, a virtual library of Canadian legal information allowing access to the judgments rendered by the courts of first instance, the Courts of Appeal as well as those of the Supreme Court of Canada. The search strategy consisted in using the key words “suicide,” “psychiatrie,” “faute” and “responsabilité” as well as their English translation to retain the recourses where a judgment was rendered by the court and where at least one psychiatrist acted as a defendant or co-defendant following the suicide of a patient.
Results Nine judgments met our inclusion criteria. Since elements were of interest for our research question, it seemed wise to us to also include three decisions where the patient did not die of his suicidal attempt but kept significant sequelae. The analysis of the judgments made it possible to identify the alleged faults most often reproached to the psychiatrist by the plaintiff and to present the usual position of the courts, and the arguments which underlie them. The alleged faults can be grouped into three categories: an assessment of the suicide risk deemed faulty, a management of the suicide risk by supervisory measures deemed faulty and an omission to have used legal custody measures when they should have been applied. In nearly all cases, Canadian courts render a decision in favor of the psychiatrist, demonstrating sensitivity to the reality of psychiatrists’ practice. The recommendations resulting from our analysis of Canadian case law support the guidelines of the American Psychiatric Association and the Ontario Hospital Association practice guidelines for suicide risk assessment and management, particularly in terms of the content of evaluation, specific moments of re-evaluation and documentation.
Conclusion Knowledge of Canadian case law on civil liability for the suicide of a patient represents an additional asset for the practice of responsible and quality psychiatry.
Keywords:
- suicide,
- psychiatry,
- civil liability,
- case law,
- suicide risk assessment,
- suicide risk management,
- standard of care
Auteurs : Gabriel Thibault, Sophie Désautels et Thomas Chamard-Bergeron
Titre : La responsabilité civile du psychiatre au Canada lors du suicide d’un patient : une analyse fondée sur la jurisprudence
Revue : Santé mentale au Québec, Volume 48, numéro 2, automne 2023
p. 209-227
URI : https://id.erudit.org/iderudit/1109839ar
DOI : https://doi.org/10.7202/1109839ar